Qu’est-ce qu’une écologie humaniste ?
Une écologie qui reconnaît et assume la transcendance de l’Homme par rapport à la Nature, ce qui lui permet donc d’agir dans ce cadre.
Une écologie qui considère que protéger la Nature, c’est aussi protéger l’Homme.
Mais une écologie qui dépasse la notion de Nature et qui crée aussi une étrange notion : l’Environnement.
S’il y a maintenant l’Homme et son Environnement, c’est d’abord parce que l’Homme dispose bien d’une position privilégiée. Cette position privilégiée permet à l’Homme de décimer la Nature tout autant que de la protéger. Sans cette position privilégiée, l’Homme ne peut pas détruire la Nature et l’écologie n’est pas possible, ni même nécessaire. Cette position a été de tout temps reconnue et assumée par l’Homme. Une position privilégiée qu’il a acquise en raison – même de la nature de son évolution, par son intelligence, sa raison, et la création de l’ Outil qui l’a fait Homme et qui lui permet de dominer cette Nature et donc d’agir sur les éléments naturels.
Cependant, qu’il la décime ou qu’il la protège, dans la mesure ou il la contrôle continuellement, l’Homme lutte toujours contre la Nature.
Si je dois opter entre une centrale nucléaire et des champs d’éoliennes, tous les intéressés pourront me donner les avantages et désavantages de l’un ou l’autre système sur l’environnement, sur leurs capacités respectives de production, leur esthétique, leur fonctionnement … mais si je leur demande la nature des risques et dangers, on ne me répondra qu’en matière environnementale. Pas par rapport a la Nature. Pour une raison bien simple : la Nature, on ne sait plus ce que c’est.
Qu’est ce que la Nature ?
Est ce que la nature existe encore de manière autonome dans la conscience humaine ?
On prétend que l’homme n’existe pas par nature mais par culture.
Dès lors, est-ce que cette culture de la nature existe ?
Est-ce que la Nature ne serait qu’une culture ?
Et si la Nature n’existait déjà plus ?
Quelle est la différence entre une automobile et un arbre ? Réponse : aucune. Toute cette matière provient en effet de l’explosion d’une supernovæ et donc d’une étoile à base d’hydrogène et d’ hélium ayant explosé et créé des éléments plus complexes qui se sont agencés, les uns en voiture, les autres en arbre. A noter que cette réponse, seule, me permet encore de définir l’homme comme un être naturel. Si l’homme est un être naturel en effet, le fait que les éléments de la voiture aient été agencés par la main de l’homme importe peu car il s’agit toujours d’une action de la nature.
Les parcs ? Ils sont édifiés par l’homme. Tout comme nos jardins. Nos fleuves sont canalisés, contenus, parfois retracés. Ils ne sont plus des phénomènes absolument, naturels.
La montagne, le désert, les animaux, les bois, les forêts … ne sont plus la Nature. Avant la montagne était dangereuse pour l’Homme. Elle était avant, Nature. Plus maintenant. Maintenant, l’Homme va l’admirer ou l’affronter avec des outils, ceux de l’alpiniste ou du randonneur par exemple, parce qu’il sait que c’est possible et qu’il possède les outils pour le faire. Parce qu’il sait que la Montagne a été conquise.
Serions-nous parachutés sans moyen de survie, dans un désert, nous chercherions uniquement à survivre, non à admirer les magnifiques dunes de sable chaud. Maintenant nous le pouvons dans le cadre d’un voyage ou d’une randonnée dans le désert parce que notre maison nous attend et que le désert a été conquis.
Nous nous réjouissons d’observer de beaux animaux sauvages parce que nous les avons au préalable dominés et que l’ on sait que chez soi, un animal sauvage ne viendra pas normalement nous sauter dessus quand nous passerons la porte en rentrant du boulot. Sinon, c’ est à l’arme que nous aimons les animaux. Au coutelas, à l’arc, au fusil : pour nous en défendre. Nous ne les chassons plus non plus parce que d’autres animaux s’en chargent. Même pour manger de la viande, la plupart des hommes ne tuent plus d’animaux. Ils sont donc inconscients de ce rapport à la Nature. Ce rapport est pourtant un rapport de violence. Ils reçoivent un pavé de viande dans un emballage plastique et ils feignent, pour la plupart, d’ignorer la source de souffrance qui nage dans leur assiette.
La Nature, c’est donc tout ce qui n’est pas humain et tout ce que l’homme ne connaît pas, n’a pas touché. La Nature c’est sans doute le mystère. L’espace vierge. Tout ce qui est vierge de l’homme qui par définition, est contre-nature.
L’ Homme contemple la nature une fois qu il l’a dominée et qu’elle n’est plus Nature. Pas avant. Avant, il lutte contre elle. L’ Homme est contre-nature. Sa volonté de lui échapper sans cesse imprime la moindre de ses actions depuis qu’il est, Homme.
Vacuité de l’idée de nature … pour la condition humaine.
L’ ensemble du monde, sa quasi-totalité a été touchée par la main de l’ Homme, en manière telle que la Nature n’ existe plus. La Nature se trouve maintenant sans doute dans les mystères du cosmos, inexploré. Et dans certaines civilisations qui nous sont inconnues et sans doute dénuées de toute notion de civilisation.
La Nature, c’est le mystère. L’inconnu. Quant nous l’aimons, elle n’est déjà plus Nature. Quand elle est connue, maîtrisée, ce n’ est plus la Nature.
‘ Être naturel ‘, pour l’ Homme, c’ est être hors-la-loi. Toutes les lois humaines condamnent la naturalité et le droit naturel. Iriez-vous déféquer dans le jardin de votre voisin ? Faire l’amour sur la place publique ? Les gens s’excusent quand ils éternuent ou quand ils baillent. Tout ce qui est naturel est condamné par l’ homme moderne parce que l’homme est en lutte perpétuelle contre, la création naturelle.
La nature de l’ Homme est de détruire, la Nature. La nature de l’Homme, c’est d’être contre, la Nature.
Au moment où la Nature est observée à l’état de matière, elle n’ est déjà plus authentique, elle n’ est plus à son état de nature. Elle est passée par le prisme de notre perception. Par le prisme de notre propre matière humaine.
Quand ce mouvement s’est-il produit ?
Il n’y a plus de Nature depuis le triomphe de la Raison et de la philosophie des Lumières qui a fusionné la Machine avec la Nature, envisagée elle-même comme une gigantesque Machine.
La notion d’ Environnement est le témoignage moderne et incident de la disparition de la notion de Nature, de sa confusion avec l’artificiel de l’Homme. La notion d’environnement est l’empreinte de son œuvre depuis qu’il est Homme : sa lutte constante avec l’idée de nature.
La notion d’environnement témoigne de la disparition, de la Nature.
Dans la Nature, quantité d’espèces disparaissent et apparaissent régulièrement. Si protéger l’environnement, c’est aussi protéger l’Homme, et si l’Homme estime cela nécessaire, c’est qu’il considère devoir être protégé en tant qu’espèce. Serait-ce un réflexe naturel qui s’imposerait dans la profonde attitude pourtant artificielle, de l’Homme, qui consiste à construire sans cesse des outils ?
Maintenant, il a créé le concept d’environnement. Et c’est un nouvel outil.
L’Homme veut survivre. Somme toute, loin des idéaux convenus, l’Homme reste un être pragmatique.
L’Homme écologique ne protège pas la Nature. Il garantit la survie de son espèce, qui depuis le début de son évolution, est en lutte contre la Nature. Dans l’action écologique, l’Homme le plus diligent met en œuvre des outils pour se protéger de la Nature qui pourrait en effet le rayer de la carte en raison de ses propres agissements (en réchauffant le climat, en faisant monter les eaux, en faisant exploser un super-volcan, en le privant de ressources épuisées …).
Le paradigme n’a pas changé. L’Homme se protège toujours de la Nature.
Cependant, l’Homme n’est pas comme toutes les espèces.
Je rencontrais une termite. Aucune ne m’affirmait se soucier de la protection de son environnement. Je songeais à l’apparition d’un virus qui décimerait l’entièreté de la vie sur la planète. Ce virus se soucierait-il de la protection de son environnement ? J’en doutais très fortement. Tout de suite, je songeais d’ailleurs à la belle nature du virus de la grippe espagnole de 1918. Une pandémie d’à peine vingt millions de mort … plus efficace que la première guerre mondiale. Belle nature … Sans doute, si ce virus s’était soucié de son environnement, aurait-il pu faire un plus joli score ?
Très vite, je constatai qu’aucun autre animal, sur cette planète, aucun organisme, ne se souciait de la protection de son environnement.
Je ne m’en étonnais pas vraiment dans la mesure ou, dans la Nature, rien ne s’envisage.
La Nature ne s’envisage pas. La Nature est.
Je n’en étais que plus convaincu de la nature artificielle, de l’Homme.
Et puis, me vint une autre idée mais qui me demandait de transcender la matière, chose qui relève presque de la sorcellerie au 21eme siècle. Et donc, du bûcher : l’espèce humaine est la seule espèce à se poser des questions quant à ce qui n’est pas, ce qui n’est pas encore, ce qui a disparu, et ce qui pourrait disparaître. L’Homme agit suite à ces visions de son esprit. Or, dans la Nature, ce qui est véritablement naturel, agit sans aucune finalité. Sans aucune référence temporelle.
A quel titre l’Homme se sentait lui, soudainement investi d’une telle responsabilité et de telles élucubrations concernant la temporalité des choses ?
En quoi était-ce naturel ? L’Homme est-il naturel ?
L’Homme veut conserver une espèce, en tuer une autre, en protéger une troisième … L’Homme serait-il un demi-dieu, un dieu en accession, en formation, un dieu, … ou peut-être Dieu lui-même ? Une image de dieu ? … qui garderait le jardin ? Comme dans la Bible ?
Comment résoudre ce mystère de l’Homme ?
Pour pouvoir agir, l’Homme transcende. Il ne fait que transcender. Il doit, transcender.
Depuis le départ. Depuis son premier outil qui l’a fait Homme et avec lequel il domine la Nature parce qu’il l’a d’abord, transcendée. Cette opération d’abstraction n’a pas lieu dans le règne de la matière. La Raison qui permet cette opération et qui a déifie la notion de matière dans la modernité est celle-la même qui me permet d’avoir accès à cette matière par l’opération transcendantale.
Par le fait même de sa transcendance sur toute chose, l’Homme peut créer.
Il ne crée que, dans l’invisible.
D’où vient cette transcendance ?
Comment penser que l’Homme puisse être mis dans une telle position privilégiée, sans penser que la Nature n’ait pu avoir une fin particulière, en ce qui le concerne ?
On pourrait répondre : ‘ par le hasard de l’évolution qui lui a donné l’intelligence, la Raison et l’outil ‘.
Cependant, la Nature n’a pas de fin. La Nature est.
Comment quelque chose qui n’ a pas de fin, pourrait créer quelque chose qui aurait une fin … et qui se construit des fins ? … Comment penser que l’Homme puisse occuper cette place particulière sans aucune finalité alors qu’il crée lui-même, des finalités ? Comment constater que l’Homme puisse transcender la Nature sans que quelque chose d’autre ne puisse en aucun cas aussi, le transcender ? Sans penser au moins, que cela puisse être possible ? … Comment l’écologie peut-elle concilier cette transcendance de l’Homme envers la Nature, sans dieu et sans aucune forme de spiritualité ? Sans aucune forme de transcendance identifiée, reconnue ? Comment même est – il possible de concevoir toute forme d’humanisme, sans dieu ? Sans quelque chose en tout cas qui s’approche de cette notion, quelque chose de plus grand, que l’Homme ?
La frontière entre la vie et la non-vie s’efface.
On uploade en ce moment des mémoires humaines de personnes décédées dans des ordinateurs avec des visages en plastique. Le développement de la robotique et des biotechnologies vont annihiler cette frontière entre le vivant et le non-vivant. La rendre entre-temps, de plus en plus floue …
Tout converge maintenant vers l’homme-cyborg. Dans la mesure où rien, ne transcende l’homme, où la spiritualité est évacuée comme obscurantisme, tout valse dans le noir le plus profond. L’Homme se transforme lui-même comme matériau, parce qu’il estime qu’il est matériau, qu’il peut l’être, et il le peut parce que plus rien, ne le transcende.
Sans doute parce que l’homme ne supporte plus sa fragilité, ne supporte plus la souffrance. Il pense qu’en ignorant ce qui le transcende, il élimine cette souffrance.
Toutes les spiritualités font en effet, état de la souffrance terrestre et de la souffrance de la condition humaine. Or, la souffrance n’est pas confortable, pour la ‘ modernité’ . Et dès lors, le moderne pense que la souffrance peut être résolue exclusivement par la matière. La vérité était auparavant une personne, un esprit, un prophète, un bouddha, un messie incarné, les signes du ciel. Maintenant, c’est une machine qui apporte cette vérité alors que la Raison est pourtant encore incarnée dans des visages … Mais … pour combien de temps ?
L’homme moderne pense qu’il trouvera la vérité dans la matière alors que toute vérité dans la matière a pu être trouvée par des esprits qui ont navigué dans le monde invisible. Exclusivement, dans l’invisible … Tous les scientifiques qui ont inventé, les artistes qui ont crée des choses, le premier homme qui a taillé un silex l’a d’abord conçu dans l’invisible. Si l’invisible, le mystère, n’est pas réhabilité dans le cadre de la raison, l’homme va disparaître. A très brève echeance.
La souffrance, c’est l’inconnu, c’est la souffrance de la séparation entre le visible et l’invisible. Mais c’est le principe de toute possibilité de création. C’est ce voyage en huit, infini, qui permet de descendre dans les enfers et de chaque fois, en revenir. Cela demande du courage. Cela demande d’être un Homme. Et non une Machine.
Pourrions-nous saisir que ce qui caractérise l’Homme depuis qu’il a conçu son premier outil, c’est sa parfaite inadaptation au monde ? C’est cette inadaptation, ce labyrinthe de la Nature qui est aussi son enfer, qui lui a fait construire ses premiers outils. C’est cette inadaptation qui l’a fait, Homme. Sa fragilité dans un univers hostile et pour lequel il n’avait d’autres armes que sa Raison : une force et une faiblesse, dans le même temps.
Être Homme, c’est regarder en face cette inadaptation. Son inadaptation vient aussi de sa Raison elle-même car ce qui le fait penser le rend parfois confus et l’homme ne peut agir par instinct. Son apprentissage n’est jamais, achevé. Pour agir, l’Homme doit, raisonner. C’est précisément cela qui le fait créer. Parfois des choses stupides. Parfois des choses étonnantes. C’est cette Raison qui le fait Homme. C’est ce qui le rend plus vivant que tous les autres animaux qui eux, sont magnifiques, mais sont voués a la répétition. C’est ce qui fait la singularité de l’Homme. C’est ce qui jette aussi une immense suspicion, légitime, sur son caractère vivant … car le vivant ne pense pas. Le vivant n’a pas besoin de penser. Le vivant, sait.
Aujourd’hui, le projet de l’homme n’est plus de s’adapter au monde en reconnaissant sa part de mystère, mystère qu’il nommait dans ses dieux.
Aujourd’hui, l’Homme est devenu lui-même un outil.
Parce qu’il n’y a plus rien, de sacré.
Même plus son corps. L’homme moderne hait, son corps. Son corps, il ne peut plus le supporter. Il ne peut plus supporter cette fragilité.
Alors il va l’augmenter. Il en fait un matériau parce que sa chair n’est plus mystique, n’a plus aucun mystère. A coups de réalité virtuelle, de cybernétique, de nano-technologies, de biotechnologies.
L’Homme-cyborg commence a construire ses add-ons.
Pourtant, les lois de l’artificiel, les lois de l’outil intègrent les lois de la nature. Quand je construis une fusée, je dois en effet respecter les lois physiques. La mécanique de construction de la fusée, artificielle, doit respecter les lois premières de la Nature. La Raison a cependant nié ces lois premières comme si elle devait à tout prix s’ériger contre toute forme de spiritualité, de transcendance, d’invisible. Cette Raison défigurée de ses racines qu’elle n’a pu trouver que dans un monde qui connaissait pourtant encore Dieu, a instauré une parfaite égalité entre la Nature et la Machine. Condamnant ainsi la Nature pour la suprématie de la Machine. Une parfaite égalité. La Nature n’existe plus. La Nature est vue comme une machine, au même titre que le corps humain (L’Homme-machine de Descartes). La Nature est entièrement confondue dans l’artificiel. C’est ce qui a permis la révolution industrielle. C’ est ce qui a mis l’homme au même niveau que ses propres outils, ce qui a fait de lui une ressource humaine, un outil parmi d’autres.
C’est parce que je transcende cette nature que je peux construire l’outil et me libérer de l’aliénation de l’univers hostile de la Nature. Et c’est parce que je transcende l’outil lui-même que je ne suis pas dévoré par l’outil. C’est toutefois parce que je fusionne la Nature dans l’outil que je suis dominé, par l’outil. C’est ce qui me conduira à ensuite modifier mon propre génome. C’est ce qui conduira à faire de moi, un cyborg.
La volonté délibérée est de toujours revendiquer l’égalité de l’homme à celle de la machine. L’écologie ne quitte pas ce paradigme. Du même coup, le monde n’est plus refondé à défaut d’une vision transcendante. Sans vision transcendante à l’homme, il est impossible de refondre l’homme, de reconsidérer la nature humaine. Sans spiritualité, qui a conduit l’homme pendant des millénaires, l’homme moderne n’a aucun, avenir. Parce qu’il est impossible, de le repenser. Il est en effet impossible de penser toute forme d’humanisme sans quelque chose qui transcende l’Homme.
L’homme vit dans le court-terme et dans l’immediateté parce qu’il a pris conscience, en particulier en raison des catastrophes du 20eme siècle mais aussi depuis la bombe atomique, au-delà de la propre finitude de son individualité, de la possible finitude de l’entièreté de son espèce. Personne ne croit plus aujourd’hui en la pérennité de l’espèce humaine. Les générations futures sont dans la conscience de l’Homme, des générations perdues qui au pire, ne verront pas le jour, et au mieux, le verront peut-être.
Si l’Homme ne renoue pas rapidement avec le sacré, il n’a aucun avenir. Il ne survivra pas à ce siècle.
Et si l’invisible n’existait plus ?
Et si la Nature, n’existait plus ?