Le développement de la cybernétique, de la bio-ingénierie et des nano-technologies conduisent l’Homme vers un état post-humain qui va se matérialiser avec sa fusion totale avec la Machine. Ceci pourrait aussi signifier la disparition pure et simple de l’humanité.
Le trans-humanisme est aujourd’hui organisé, soutenu et financé à raison de millions de dollars.
Le paradoxe terminal de la Modernité est d’avoir permis à la raison matérialiste scientifique de triompher tout en menant a la dé-raison. Une dé-raison qui s’était déjà manifestée dans les horreurs du 20ème siècle ( les utopies meurtrières, le génocide, la rationalisation et l’industrialisation du crime de masse) et le massacre toujours très actuel de notre environnement.
A présent, cette raison déraisonnable conduit à cette menace imminente : la disparition pure et simple de l’Homme qui devient le matériau direct sur lequel s’exerce cette dé-raison instrumentale.
Depuis l’outil qui l’a fait homme, l’Homme combat la Nature.
Aujourd’hui, alors qu’il a conquis cette nature sur tous ses fronts, l’homme augmente ses sens, ses capacités cérébrales, sa force physique, en s’attaquant au dernier rempart de cette Nature : son propre corps. Son corps dont il ne supporte plus la fragilité, la contingence, la souffrance de la maladie et de la mort.
Dans cette ère de l’homme-cyborg à laquelle notre siècle est en train de donner le jour, se posent beaucoup de questions et notamment : que vont devenir les autres ? Que vont devenir ceux qui ne seront pas des hommes augmentés ? A qui va être accessible cette technologie ? Que vont devenir les derniers hommes ?
La réalité virtuelle mène à la déconnexion physique du monde. Alors que la matière est ce sur quoi s’exerce la raison scientifique, cette même raison procède dans le même temps à la dé-réalisation du monde. A la dé-réalisation de la Magie du Monde. A la dé-réalisation des choses qui portent le Mystère du Monde. Un ordinateur par exemple, est certes un outil fabuleux, il témoigne du génie de l’Homme mais il ne porte pas le Mystère de la Nature. Il ne peut pas le porter parce que l’Homme ne reconnait plus son propre mystère, le mystère de la Vie. Dès lors, tout ce qu’il crée comme outil ne peut plus le porter non plus. L’Homme fusionne avec l’outil et il est alors dominé par l’outil et à présent, il devient même son propre matériau.
Dans ce drame du vivant qui se joue aujourd’hui, la réalité virtuelle procède en plus à un lissage émotionnel des individus et à une atrophie de leurs valeurs puisque dans le virtuel, ‘tout est permis’ ou presque. C’est un comportement qu’on constatait déjà avec internet ou les réseaux sociaux où des gens se croient parfois permis de faire des choses qu’ils ne feraient jamais dans le monde réel. Mais cette obligation d’interconnexion permanente lisse aussi les opinions en établissant l’interdit, conscient ou inconscient, de se retrouver seul. Et donc seul aussi, avec une opinion. Dans un environnement virtuel autorisant maintenant l’immersion complète, ces phénomènes de lissage émotionnel, d’atrophie et d’ homogénéisation des valeurs, vont s’affirmer plus encore.
Détruire le vrai, n’est-ce pas détruire tout simplement la joie ?
La haine du corps, de la chair, la haine de la finitude et de la vulnérabilité, n’est-ce pas la haine de la vie elle-même proclamée par le technocrate et son irrationalité instrumentale ?
Et plus les hommes sont interconnectés, plus paradoxalement, ils sont aussi seuls face a ce phénomène qui est en train de les désaisir d’eux-mêmes. Et seuls, dans une mauvaise solitude. Une mauvaise solitude qui donne en plus l’illusion de la foule et d’être entouré en permanence. Dès lors, les lieux d’interconnexion rendent cette mauvaise solitude encore plus génératrice de souffrances que la banale solitude ne l’a été de tout temps. En effet, être seul au milieu d’une foule est toujours plus angoissant qu’être seul sans personne autour de soi.
Aujourd’hui, alors que soit-disant, l’individualisme triompherait, le culte du ‘Moi’ vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, étonnamment les gens ne savent plus se retrouver avec eux-mêmes. On imaginerait pourtant qu’ils aiment leur ‘Moi’ dont ils proclament les prouesses parfois heure par heure sur les réseaux sociaux mais non, ils ont bizarrement le constant besoin d’être avec d’autres et ne sont jamais seuls avec ce ‘Moi’ qu’ils adorent.
Incapables de solitude, nous ne pouvons plus réfléchir, nous ne pouvons plus aimer. Cette boulimie sociale ne manifeste que le souci d’un ego de s’affirmer plus encore et de son incapacité à contempler le Monde. Alors l’Ego se contemple puisqu’il ne peut contempler le Monde. Et évidemment, dans tout ce qu’il peut faire, manger, affirmer, montrer de sa vie matérielle, il n’y a rien qui puisse soulager cet ego.
C’est donc aussi une détresse qui s’exprime : celle de l’incapacité à être seul, à faire face à soi-même, à être au Monde.
Pour tenter de prendre des distances avec cette modernité qui a sombré dans la folie, ne devrions-nous pas réapprendre a être seul, dans une positive solitude ?
On dit souvent qu’être homme, c’est être un être social, mais ne devrions-nous plutôt réhabiliter la solitude, la bonne solitude ?
Nous savons que seule une solitude qui permet non pas d’agir sans cesse sur le monde ou lui échapper mais une solitude qui permet de contempler le Monde permet d’encore pouvoir penser le Monde et donc en faire partie. Permet aussi peut-être, de l’imaginer autrement.
Une positive solitude qui nous permet de nous réapproprier notre âme et notre corps.
Si les hommes deviennent incapables d’être seuls et par la-même, de contempler le monde dans le mystère de la vie, serait-ce parce qu’ils sont si fatigués d’eux-mêmes que cette bonne solitude, ils ne peuvent plus la supporter ? Et si oui, pourquoi sont-ils si fatigués ? Ne serait-ce pas parce que précisement, il n y a plus rien qui les transcende ? Il n’y a plus rien qui leur donne l’espoir de devenir meilleur, plus rien qui les rende dignes, plus rien qui puisse encore accorder encore à la vie son statut de merveilleux et de mystérieux ?
Tout devient immatériel. Mais pas un immatériel qui transcende l’homme. Pas un immatériel qui reconnait le mystère, la beauté digne, la grâce de l’invisible, mais un immatériel qui fait de l’Homme un être désincarné.
Peut-être qu’en saissant la vacuité de l’idée de nature, pourrions-nous cesser de vouloir à tout prix la dominer ? Sans doute la raison par rapport à ce corps humain en voie de disparition doit-elle passer par la compréhension que nous ne sommes pas uniquement, notre corps ?
La raison peut-elle réapprendre à laisser une place a l’immémorial de la Vie et à son Mystère, à l’invisible qui l’a permise ?
Ou alors … sommes-nous vraiment, les derniers hommes ?